Deuxième jour sur les îles du Salut. Une bande de capucins tente l’approche, d’abord prudemment, attirés par l’odeur de notre petit déjeuner que nous prenons sur la terrasse. On les aperçoit cachés dans les palmiers des maisonnettes d’en face. Certains plus hardis sont déjà sur notre toit, d’où émerge leur petite tête brune. Certainement les dominants. Les autres commencent à traverser rapidement l’allée et se retrouvent d’un bon, sur le muret à quelques centimètres de nous. Nous les laissons faire, dans un premier temps, histoire de ne pas les effrayer. Echaudés par notre expérience de la veille avec le gros mâle, nous leur jetons des morceaux de pain et de fruits, histoire de les tenir à distance. Mais, effet contraire, ils s’enhardissent et n’hésitent plus à monter sur la table. Au fur et à mesure que nous les ravitaillons, le nombre d’individus augmente et nous nous retrouvons bientôt encerclés par la troupe. Nous sommes obligés d’en chasser certains, les chapardeurs, tandis que d’autres, plus tranquilles, viennent piocher dans nos mains tendues. Nous finirons le petit déjeuner à la hâte afin de calmer l’ esprit des plus menaçants…
Nourrir des animaux sauvages n’est pas, à priori, une bonne chose. Cela dit, les singes ne trouvent pas énormément de nourriture sur l’île, à tel point que lors du confinement Covid et de l’absence de touristes, les capucins en sont venus à dévorer les petits singes saïmiris, décimant une partie de la population. L’espace restreint de ces îles implique de toute façon une proximité avec les humains. D’ailleurs, même en période touristique, les singes font un vrai carnage avec les poubelles des maisonnettes, qui sont systématiquement pillées pendant la nuit, laissant l’allée jonchée de détritus en tout genre…
Nous quittons les lieux, à regret, direction la jetée. Nous y attendrons notre catamaran qui entre temps a fait l’aller-retour du continent, avec à son bord quelques touristes, plus nombreux que la veille. Dans l’attente, à l’ombre des cocotiers, nous observons deux beaux iguanes, des agoutis, quelques tortues et bien sûr quelques singes faisant les pitres dans les arbres. Le catamaran nous embarque pour une traversée d’à peine deux cents mètres, jusqu’à l’île Saint-Joseph.
Comme dit précédemment, Saint-Joseph est plus plate. Le sentier côtier est donc facile. 4 ou 5 kilomètres tout au plus et sans escarpement, sauf à la pointe Est. Les cocotiers sont foison tout autour de l’île. Les noix fournissaient une grande partie des boissons consommées à l’époque du bagne (l’eau douce était rare, surtout en période de sécheresse), et leur chair devait agrémenter les repas, à n’en pas douter plutôt médiocres… En son centre, Saint-Joseph abrite les ruines du bagne le plus imposant de l’archipel. La forêt a repris le dessus maintenant, conférant au site des airs du temple d’Angkor… Une petite compagnie de légionnaires (une vingtaine de chanceux, en récompense pour service rendu je suppose), a pour mission l’entretien des lieux, en effectuant des travaux d’élagage et de débroussaillement. Ils assurent également avec les gendarmes, la sécurité de l’archipel, notamment lors du lancement des fusées. Pour eux, ce n’est pas vraiment le bagne. Ils disposent de petites maisons-bungalows dans lesquelles ils peuvent recevoir leur famille. Très sympatriques, ils offrent aux touristes des noix de coco fraichement cueillies (ils montent aux arbres comme des singes), en ayant pris soin de leur trancher la tête (aux noix, pas au touristes), à l’aide de leur machette. Délice garanti de pouvoir siroter leur jus frais les fesses dans la mer ! Après coup, façon de parler, ils installent leur hamac entre deux cocotiers pour une sieste bien méritée.
Nous passons devant la piscine des bagnards, la seconde de l’archipel. Quittant le sentier côtier, nous empruntons la belle voie pavée (comme une voie romaine) construite par les forçats, et menant au bagne. « La silencieuse », « La mangeuse d’homme », « La guillotine sèche ». Ces expressions décrivent la dureté et l’horreur que vivaient les prisonniers expédiés au bagne des bagnes : la redoutable île Saint-Joseph. C’est là que les plus dangereux bagnards étaient regroupés. Les cellules étaient minuscules. Ils ne pouvaient ni parler, ni fumer, ni écrire. Interdiction de détenir un objet et de s’assoir avant la nuit. Comme des animaux en cage, sans que jamais la lumière du jour n’y pénètre, les prisonniers souffraient de la chaleur étouffante, de l’humidité (pas de toit sur les cellules, juste des grilles). Ajoutés à cela les maladies, le manque de nourriture et les punitions des surveillants, il est facile de comprendre pourquoi l’expression « c’est le bagne » a traversé l’océan et les siècles… Ceux qui y survivaient (un sur trois y est mort), trainaient avec eux des séquelles irréversibles (scorbut, tuberculose, aveuglement, folie, et certainement une rancune mortelle pour la patrie). Comme je le disais plus haut, le paradoxe est grand entre la beauté du site et les horreurs qui s’y sont passées. La mission des légionnaires est donc cruciale ici, car, par leurs travaux d’entretien, c’est aussi notre mémoire qu’ils entretiennent…
Nous traversons les couloirs à ciel ouvert qui mènent aux cellules. Nous pénétrons avec hésitation dans certaines, nous frayant un passage entre les toiles d’araignées, les plantes et racines qui avalent doucement les murs, comme pour les cacher. La forêt, dense, assombrit encore plus les lieux. La mer, bien que proche, ne se voit ni ne s’entend. Double prison… Nous laissons à leur triste sort les murs craquelés et les âmes errantes, pressant le pas pour rejoindre le chemin côtier, le soleil et la mer. Besoin de respirer et de voir au loin…
De retour sur le chemin côtier, nous arrivons à la pointe Est, la pointe Marie-Galante. Nous y admirons une belle roche gravée, certainement d’époque amérindienne, représentant un lézard. De la petite falaise, nous suivons des yeux pendant un long moment, un énorme banc de poissons qui semblent tourner en rond. Très probablement en chasse, leur flancs argentés font des myriades d’étincelles dans l’océan. Nous restons là un long moment, hypnotisés, installés sur les roches noires qui nous brûlent les fesses.
Nous poursuivons notre tour de Saint-Joseph et arrivons au cimetière. Séparé de la mer de quelques mètres seulement, il est protégé par une belle barrière rocheuse noire et de quelques cocotiers. Deux cents tombes y résident, paisibles. Des stèles grises aux noms souvent estompés par le temps, apparaissent quelques dates, témoignant d’une vie courte. A même le sol, les tombes sont délimitées par de vieilles briques orangées, formant ainsi un rectangle tapissé de sable blanc. Le lieu est tranquille, baigné de soleil et bercé, inlassablement, par le bruit des vagues. Espérons que la montée des eaux n’effacera pas ces sépultures, témoins silencieuses d’un passé peu glorieux…
Nous finirons le tour de Saint-Joseph par son joyau, la plage. La seule et unique de l’archipel. On la devine du sentier à travers une forêt de cocotiers. Ce qui saute aux yeux en y pénétrant, c’est la blancheur du sable. Il n’est pas très fin, plutôt grossier même, restes de coquillages qui piquent les fesses. Seul un petit passage entre les rochers noirs permet d’accéder à un peu de profondeur, mais il est fortement déconseiller d’aller plus loin. Nombreux sont ceux et celles qui se sont noyés ici même, touristes compris. Le courant dans la passe est extrêmement puissant et repousse les inconscients au large. Respectant les consignes, nous profitons de ce tableau idyllique. Le bleu de la mer, les rochers noirs, le blanc du sable et le vert des cocotiers font de cette plage une des plus belles que j’ai pu voir.
Nous y installons nos serviettes, à l’ombre d’un cocotier, en ayant pris garde de ne pas être à l’endroit où pourraient tomber ses jolis fruits assassins… La marée est haute et nous partageons notre trempette, à défaut de baignade, avec une poignée de touristes et quelques familles de légionnaires. Nous savourons notre petit apéro, notre pique-nique et la coco du légionnaire, nous prélassant le reste de l’après midi avant le rejoindre le catamaran (à la nage pour Juju et moi), qui nous ramènera à Kourou en fin de journée.
Pas sûr que j’y revienne un jour, alors salut les îles et merci ! (merci également à Chrys pour l’organisation au top).






























Merci mon papa de nous raconter leur histoire et Notre histoire. T’as oublié le détail de ton premier séjour en guyane de ta piqûre de méduse, des « galères portugaises » qui t’avait bien assommée ! Ah l’aventure dans cet enfer vert c’est déroutant mais tellement plaisant ! ❤️
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Mémoire vive pour faire que dure le bonheur d’avoir vécu une chouette expérience et le plaisir de la partager. Bises. Th.
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