L’île Royale

(je sais que des coquilles se glissent dans mes textes, désolé…)

Nous débarquons donc sur Royale, par le jetée sud. Sur notre gauche, la baie des cocotiers s’étale, magnifique. Sur notre droite, l’île Saint-Joseph n’est qu’à deux ou trois cents mètres. Nous la visiterons demain. La carte postale est parfaite, si ce n’est la pluie fine qui nous surprend et assombrit un peu les couleurs. Nous sommes chargés comme des mules (bagages, glacière) et entamons la montée vers l’auberge, qui abritait autrefois la direction pénitentiaire. On y trouve aujourd’hui une dizaine de chambres et un restaurant, sur les hauteurs. La vue sur la mer et sur l’île du diable y est superbe. Par contre, elles sont en enfilade, collées les unes aux autres et très récentes. Elles gâchent un peu, pour moi, le paysage. Espérons qu’elles n’envahiront pas l’île… Nous n’avons pas choisi cette option. Nous dormirons dans le quartier des surveillants, constitué de huit maisonnettes dans lesquelles vivaient les gardiens du quartier des condamnés (juste à côté). Légèrement réaménagées à l’intérieur pour accueillir des visiteurs, elles proposent un confort simple, mais largement suffisant pour une nuit. Douche, lits, frigo et petite terrasse suffisent à notre bonheur. L’endroit est resté dans « son jus », et la toute proximité des cellules des condamnés (dont celles des condamnés à mort) ajoute à l’ambiance surréelle du site.

Nos deux gendarmes, décidément bien sympathiques, ont récupéré notre chargement pour le monter jusqu’à l’auberge dans leur méhari vert olive, via la seule piste suffisamment large pour un véhicule. La clé de notre maisonnette récupérée, nous filons sous la pluie avec armes (bières et rhum) et bagages jusqu’à nos appartements. Seules deux touristes occuperont une autre maison, un peu plus loin. Nous ne verrons plus personne d’autre jusqu’au lendemain, nous laissant seuls avec les fantômes des bagnards, errant ça et là avec leur solitude et leur désespoir…

Une fois installés, nous partons sur les sentiers de l’île. Nous nous avançons sous l’allée des cocotiers, dans le parc de l’ancien hôpital (uniquement pour le personnel), bâtiment imposant mais très bien conservé avec ses briques rouges. L’ancien hôpital des bagnards a lui été rasé. Il était un vrai havre de paix pour eux, à tel point qu’ils n’hésitaient pas à se mutiler pour y passer quelques jours… Nos pas nous guident maintenant vers la jolie chapelle, finement restaurée et mise en valeur par de magnifiques manguiers. De là, nous nous dirigeons vers le cimetière des enfants composé de 47 petites tombes, réservées aux enfants du personnel pénitentiaire. Les maladies ne frappaient pas que les bagnards, si bien que le cimetière ne tarda pas à être saturé. Un autre cimetière a été aménagé sur l’île Sain-Joseph pour les dépouilles des adultes, puis des enfants. Les bagnards quant à eux, étaient tout simplement immergés à quelques encablures de l’île, par mesure de salubrité d’une part, et d’autre part pour nourrir les « gardiens » très dissuasifs de ses eaux tourmentées…

Au détour du chemin, un bruit furtif attire notre attention. Soit une noix de coco vient de tomber, soit plus probable, un singe nous a entendu arriver. Nous nous approchons délicatement des arbres et découvrons, à quelques mètres de nous, un beau singe capucin. Plus gros que le singe saïmiri qui nous sautait sur l’épaule à l’îlet la Mère, il ne semble pas trop apprécier notre présence. Il nous le fait d’ailleurs savoir d’une manière très particulière : attrapant la branche au dessus de lui, il la tire jusqu’à la casser, d’un bruit sec. Nous pensons alors qu’il va se nourrir des jolies feuilles vertes, que nenni ! Tenant la branche entre ses pattes de devant, il la plie, comme faisaient les hommes de foire qui tordaient les barres de fer. Et tandis que son regard noir nous fixe, la branche se brise en deux… Nous rions, jaune, et préférons nous éloigner, laissant ce malotru à sa colère un peu exagérée.

Nous passons devant le phare et rattrapons le sentier côtier du nord de l’île, vers la pointe de Trinidad, et partons plein Est (nous réservons la pointe Ouest pour la fin de journée). Le chemin est bordé de grands arbres et d’une végétation luxuriante. Contrairement à nos escapades dans la jungle où nous regardions sur quoi nous mettions les pieds, ici nous jetons souvent un coup d’œil en hauteur, surveillant comme le lait sur le feu la cime des cocotiers. En effet, il n’est pas rare qu’une noix se détache et tombe lourdement sur le sol. Lors de mon premier séjour sur cette île, j’avais eu la désagréable surprise d’en voir une s’écraser à moins d’un mètre de moi. Autant vous dire que si je l’avais prise sur la tête, vous auriez été préservés de mes récits… Côté mer, une petite falaise et de gros rocher noirs sur lesquels les vagues viennent se fracasser. Quelques singes saïmiris nous accompagnent et viennent grappiller délicatement, eux, les biscuits que l’on avait préparés en prévision. Nous croisons également quelques agoutis furtifs, au pelage roux, mi- lapin (sauf les oreilles) mi- écureuils. Plus loin, un gros rocher plat s’avance au dessus de la falaise. Il est dit qu’à cet endroit les bagnards venaient régler leurs comptes, les gardiens les laissant ainsi s’entretuer, histoire de vider un peu les cellules. Le malheureux, lui, finissait en bas de la falaise, et si par malchance il n’était pas encore mort, les squales affamés se chargeaient de l’achever…

Le chemin descend lentement jusqu’au raz des flots. Nous rejoignons la « piscine des bagnards », alors que la pluie s’est arrêtée, laissant place à un beau soleil et un ciel tout bleu. Une bonne synchronisation des éléments car nous avons prévu une petite baignade ! Construite par les bagnards eux-mêmes à l’aide des gros rochers environnants, cette piscine était (et est toujours) une avancée dans la mer alors infestée de requins. Ainsi protégés par cette ceinture rocheuse, les prisonniers étaient autorisés à s’y baigner, du fait du manque d’eau douce pour la toilette et pour calmer leurs esprits souvent agités. A notre arrivée, la marée basse nous empêche d’en profiter. Nous filons donc quelques mètres plus loin, à l’anse Legoff, pour faire trempette. Une petite digue nous protège des forts courants du large. Nous nous baignons en toute tranquillité (il n’y aurait plus de requins…), admirant cocotiers et rochers noirs…

Nous continuons ensuite notre ballade vers la pointe Est. Nous Arrivons à la pointe des Cayes, ancien emplacement du transbordeur, qui servait à relier et à ravitailler l’île du Diable à l’aide d’un câble et d’un caisson, à quelques deux cent mètres. Plus loin encore, le bâtiment de l’ancienne porcherie qui alimentait en viande les hommes (surtout le personnel d’ailleurs). Le reste des carcasses et autres entrailles finissait à la mer, au bas du bâtiment. Ce n’était peut-être pas le meilleur endroit pour faire ses ablutions… Nous contournons la pointe du Marin, d’où nous profitons d’une belle vue sur Saint-Joseph, pour nous retrouver à la jetée sud, où nous avons débarqué le matin même. De là nous rentrons pour une petite douche et sieste pour certains, puis nous nous préparons pour la visite de la seconde moitié de l’île, côté Ouest. Pour ce faire, nous prenons nos armes (bières, rhum et chips), car nous envisageons de célébrer cette extraordinaire journée de la plus belle des manières !

Nous repassons derrière la chapelle pour rattraper le sentier sud. De ce côté de l’île, il est juste en bord de mer et plus étroit. La végétation touffue rend la progression plus délicate. Nous apercevons plusieurs tortues vertes, remontant régulièrement à la surface pour respirer. Les singes continuent de nous accompagner. Nous passons la pointe de la Jamaïque et nous retrouvons à l’extrémité Ouest de Royale. Au loin on aperçoit le continent, devinant Kourou et la base de lancement des fusées. Il faut savoir que les îles du Salut sont évacuées à chaque lancement, car la trajectoire passe juste au-dessus. Juju semble avoir trouvé le lieu idéal pour notre apéro. En contrebas du chemin, une avancée de rochers plats nous tend les bras. C’est parfait ! Nous nous y installons, savourons et nos breuvages et le bonheur d’être ensemble, de partager ces instants uniques, si proches et à la fois si loin du monde…

Le soleil se couche à l’horizon. Nous regardons le ciel s’embraser… Il est temps de rentrer avant que la nuit envahisse l’île. Nous dinerons sur notre terrasse, l’allée des maisonnettes faiblement éclairées laissant au dessus de nos têtes le ciel se remplir d’étoiles…

Publicité

2 réflexions sur “L’île Royale

  1. J’ai une de ces dégaines sur les photos 😂
    Émouvant ton récit. C’était génial ´, hâte de lire l’île saint Joseph !!
    Oui l’arme la plus saine en guyane c’est le rhum la bière et la bouffe !!! 😜
    Love u

    Aimé par 1 personne

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s