Avant de vous raconter notre séjour sur ces îles, je vous intègre un article tiré du site : https://criminocorpus.org/fr, qui en retrace l’histoire. Pour ceux qui ne le savent pas encore, ces trois îles sont à l’origine d’une expression que l’on utilise encore aujourd’hui, parfois avec humour, pour signifier que l’on doit affronter une situation pénible, ou bien que l’on est privé de liberté, tout comme l’étaient les bagnards : « Mais c’est le bagne ici ! »
« D’abord nommées « Îles du Triangle » (en raison de leur disposition) par les premiers explorateurs, les îles du Salut prirent ensuite le nom sinistre d’« Îles du Diable » en raison des forts courants marins qui rendaient leur accès très périlleux.
Les Îles du Salut ont accueilli le premier camp du bagne de Guyane, que Napoléon III créée en 1852. Ceci institue la transportation hors de métropole de tous les condamnés aux travaux forcés. Par le biais de ces derniers, les bagnards vont devenir une main-d’œuvre gratuite, qui remplace en partie les populations esclaves de Guyane, tout en sortant les criminels du territoire métropolitain. Une des caractéristiques de la loi du 30 mai 1854 est ce qu’on appelle le doublage : pour les peines de moins de 8 ans, le condamné est astreint à résidence en Guyane le même nombre d’années que sa peine, au-delà de huit ans, c’est l’astreinte à résidence à vie. Cette particularité a pour but le peuplement de la Guyane.
Fin 1852, ce premier camp sur les îles accueille déjà plus de 1000 bagnards. Le nombre de prisonniers croissant associé à des épidémies de fièvres vont rendre indispensable la création de nouveaux camps : rapidement, le bagne des Îles du Salut fait partie de toute une géographie pénitentiaire qui comprend des chantiers de défrichements forestiers ou de construction de routes (dont la fameuse route coloniale n°1 qui n’avança que de 24 km en 20 ans) et les villes du bagne (Saint-Laurent du Maroni pour les transportés, Saint-Jean du Maroni pour les relégués).
Les Îles du Salut doivent leur nom à l’expédition de Kourou, entreprise entre 1763 et 1765 pour réaffirmer la puissance coloniale française. Cette opération est un désastre et va voir 60% des colons envoyés décimés par la faim et les fièvres. Les survivants se réfugient sur le petit archipel appelé alors “îlets au Diable”, à 13km des côtes, qui gagne sa réputation de salubrité et sa nouvelle appellation.
Les Îles du Salut sont un terrain propice pour l’accueil des condamnés : leur climat est certes plus favorable que sur le continent, mais leur isolement insulaire, les forts courants qui les entourent ainsi que la présence de nombreux requins en font un fort naturel, peu propice aux évasions. C’est pourquoi y seront installés les criminels les plus dangereux, les plus célèbres (Dreyfus), les détenus politiques et les forçats les moins contrôlables, les fameux « incorrigibles ».
Elles présentent également l’avantage de permettre le mouillage des bateaux, contrairement à la côte dont les fonds peu profonds ne permettent pas aux navires d’approcher pendant les premières années (jusqu’à l’utilisation de bateau à plus faible tirant d’eau).
Dans les premières décennies, sous le Second Empire, l’objectif du bagne est double : vider les bagnes portuaires de métropole des malfrats et utiliser cette main-d’œuvre pour développer les colonies. Napoléon III a alors une réelle volonté de régénération des condamnés et de colonisation du territoire.
Ce sont les bagnards qui vont réaliser les différentes constructions, après un aménagement du site permettant de les accueillir. Les premières cases, destinées au personnel, sont construites avec le bois des arbres abattus. Une caserne provisoire va accueillir les premiers malades et rapidement être transformée en hôpital. On note également un quartier militaire, coupé du reste de l’île pour protéger le personnel libre des bagnards, une seule prison sur l’île Saint-Joseph sinon des dortoirs collectifs, et la construction d’ateliers et de petits établissements industriels participant à la mise en valeur économique des îles.
On croit alors réellement à la colonisation par l’élément pénal. Mais cet élan s’interrompt entre 1867 et 1887 : les Îles du Salut sont en partie délaissées car les convois de bagnards d’origine européenne sont dirigés vers la Nouvelle Calédonie (bagne ouvert de 1863 à 1898). Une partie des bâtiments est laissée à l’abandon et se dégrade.
Le camp des Îles du Salut va être en activité jusqu’à la fin du bagne de Guyane. Le 17 juin 1938, après une intense campagne de presse, le décret-loi mettant fin au régime de la transportation est promulgué. Malgré la signature du décret, un dernier convoi, composé de 666 condamnés, quitte la France à destination de la Guyane le 22 novembre 1938.
La Seconde Guerre mondiale interrompt les départs et a des répercussions importantes : ravitaillement difficile, conditions sanitaires aggravées, tensions politiques. Il faut attendre 1945 pour que l’envoi des relégués en Guyane soit arrêté. Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’opinion internationale se fait pressante et aboutit en 1946 à la fermeture du bagne. Les forçats restant sont rassemblés sur les Îles du Salut et leur retour s’échelonne jusqu’en 1953.
Sur les Îles du Salut, après la fermeture du bagne, les infrastructures abandonnées sont victimes de la végétation et du climat, des pillages et du temps.
On note quand même quelques occupations périodiques, notamment des colonies de vacances sur l’île Royale (1948-1961), une huilerie (sans succès), de la pêche au requin sur l’île Saint-Joseph (1949-1952), un poste de gendarmerie entre 1962 et 1964 pour surveiller le trafic maritime, notamment les chalutiers étrangers qui venaient faire de la contrebande au large des côtes de la Guyane.
De 1964 à 1968, le seul habitant des Îles du Salut fut le gardien du phare sur l’île Royale.
Dans les années 1960, le Centre National d’Etudes Spatiales (CNES) s’installe à Kourou. Les Îles du Salut étant situées sous la trajectoire des lanceurs et le CNES devant assurer la sécurité des personnes et des biens, les îles sont reconnues d’utilité publique en 1965 et deviennent en partie propriété du centre spatial en 1971.
Sur l’Île Royale, un cinéthéodolite est construit en 1968, remplacé depuis 1995 par un cinétélescope. Il sert à visualiser et filmer tous les évènements pouvant survenir pendant la phase de vol des fusées. Un héliport a également été aménagé.
Dès 1968, une exploitation touristique des Îles du Salut est mise en place. Au départ seul le bâtiment principal de l’ancien mess des officiers, devenu auberge, était exploité. Progressivement, d’autres bâtiments ont été restaurés et aménagés pour accueillir les visiteurs, notamment dans les années 1980.
Bref comme disait la femme de Pépin, nous voilà partis pour Kourou, lieu d’embarquement pour une traversée d’une heure trente en catamaran. L’ambiance du port Pariacabo est très « amazonienne » : ponton en bois traversant la mangrove, d’où nous pouvons admirer quelques Ibis rouges fouillant le sable de leur long bec effilé à la recherche de crevettes ou vers de sable, filets de pêcheurs, barques aux couleurs pastelles… A son extrémité, le fleuve Kourou aux rives sombres et épaisses, écoule ses eaux marron vers le large. Quelques embarcations vétustes aux noms étranges « Bibine, Mérou » y sont amarrées. A bord, les matelots sont tranquilles, certainement épuisés par une nuit en mer. Ils discutent tranquillement, la cigarette (?) collée au bord des lèvres, tandis que des airs de reggae s’échappent de la cabine. Il est encore tôt, 9 heures tout au plus, mais l’air est déjà chaud et humide, malgré la présence menaçante de lourds nuages au dessus de nos têtes. Par chance, une douce brise porte jusqu’à nos visages le parfum iodé de l’océan.
Il est temps de monter à bord. Nous nous installons sur le pont avec une dizaine de touristes qui, contrairement à nous, ne passeront que la journée sur les îles. A croire que nous faisons fuir les gens ! Nous descendons tranquillement le fleuve jusqu’à l’embouchure, scrutant le moindre mouvement de ses rives, et entamons la traversée des 7 miles nautiques (13 kms), qui nous séparent des îles. La mer est relativement calme, bien que nous prenons les vagues de face et, comme à son habitude, présente la même couleur que le fleuve. Chrys s’est installée sur le filet central du catamaran au risque de se faire tremper si, après une vague plus haute que les autres, le nez de l’embarcation plongeait dans les flots ! Une surprise nous attend à mi-chemin, le partage des eaux. Une démarcation très nette apparaît, entre les eaux marron chargées d’alluvions et la couleur presque bleue, des abords de l’archipel. Le taux de salinité et les courants expliquent le phénomène. Il faut savoir que c’est le seul endroit en Guyane où la mer est (enfin, diront certains) couleur azur…
Pas de dauphins en vue, mais un vol d’ibis rouges nous accompagne un moment, tandis que la masse sombre des îles se fait de plus en plus précise. Cela dit, nous en sommes encore relativement loin et les trois îles semblent n’en former qu’une, dessinant sur l’horizon la forme d’un caïman. Au fur et à mesure de notre approche, leurs silhouettes se dévoilent, lentement : l’île Royale sur la gauche, l’île Saint Joseph sur la droite. La troisième, l’île du Diable, ne se découvre qu’une fois sur place. Plus petite que ses sœurs, elle est cachée derrière l’île Royale. Le Roi qui cache le Diable en quelque sorte…
Extrait de Wikipédia : « Les prisonniers y subissent un traitement très sévère et inhumain. Ils sont enfermés dans des cellules obscures. Il leur est interdit de parler, de lire ou même de prendre du repos pendant la journée. Les gardiens de prison font de leurs quotidiens un véritable cauchemar. Adresser la parole à un garde peut effectivement se terminer par une punition très sévère.
Par ailleurs, le climat offrait des conditions de vie très difficiles. « Les animaux pullulaient dans ma case. Les moustiques, au moment de la saison des pluies, les fourmis en toute saison, en nombre si considérable que j’avais dû isoler ma table, en plaçant les pieds dans de vieilles boites de conserve, remplies de pétrole », racontait l’officier français Alfred Dreyfus. Les pathologies adjacentes avaient souvent raison d’une partie considérable de la population du bagne.
La situation géographique de la formation rocheuse rendait l’évasion presque impossible. Les îles sont assez éloignées des côtes et les forts courants marins pouvaient être mortels.
Les eaux étaient également infestées de requins. Seulement deux hommes sont parvenus à s’échapper de l’île du Diable. Le premier est l’anarchiste Clément Duval qui a ensuite trouvé refuge aux États-Unis en 1901. La deuxième évasion réussie est celle d’Henri Charrière surnommé Papillon, condamné pour meurtre. »
C’est la deuxième fois que je viens aux îles du Salut, mais c’est toujours avec grand plaisir que je m’en approche. Je sais, le paradoxe est énorme. C’est un peu comme dire : « j’ai visité Dachau, il faisait beau… ». A la différence malgré tout, que le site est magnifique et que, comme disait Aznavour : « il me semble que la misère est moins dure au soleil… ». L’île Royale, la plus grande, fait 28 hectares. Elle est également la plus haute avec ses 66 mètres, d’où l’implantation du phare. L’île Saint-Joseph, 20 hectares, plus plate, culmine à 30 mètres. C’est d’ailleurs là que réside la seule et magnifique plage de l’archipel. L’île du Diable, qui ne compte que 14 hectares pour 40 mètres de haut, est inaccessible aux visiteurs car les courants dangereux rendent le débarquement périlleux.
Outre les eaux bleues, c’est la palette de vert qui saute aux yeux. Le vert de la végétation. Certes nous y sommes habitués maintenant, mais là, cerclés par l’océan azur, cocotiers et forêts primaires apparaissent dans tout leur éclat ! Nous accostons, accueillis par deux jeunes gendarmes, plus présents par curiosité semble-t-il, que par mission de contrôle…
Pensez à cliquer sur les photos 😉




Juste « semble-t-il » à corriger. Les îles, on dirait une tortue qui flotte !
J’aimeJ’aime
Merci Fabrice pour ce moment de lecture bien agréable !
J’aimeJ’aime
Au large, quand on est sur le catamaran les trois îles forment la silhouette d’un « caïman » 🤩
Hâte de lire la suite… même si je l’a connais déjà mais tu racontes tellement bien, j’ai l’impression d’être un des personnages principaux de tes récits 😜
Passionnant les iles du salut, ça me manque ❤️
J’aimeJ’aime