La pêche à l’Aïmara
Comme convenu, Marius sonne le rassemblement en ce milieu d’après-midi. Il est temps pour nous d’aller à la rencontre de ce poisson emblématique de Guyane. Partir à la pêche à l’Aïmara pour nous, petits pêcheurs devant l’Éternel, c’est comme partir à la chasse au trésor. On en a tellement entendu parler de ce poisson et de tant de façons, qu’à la fin tu te demandes si toutes ces histoires ne sont pas un petit peu exagérées. Un scientifique, spécialiste en ichtyologie (étude des poissons, je ne savais pas moi non plus), a fait une excursion un jour avec Marius pour venir l’étudier. Pas Marius, le poisson. Il serait selon lui, parmi les quatre poissons les plus combatifs lorsqu’il est ferré. Les plus gros peuvent atteindre plus d’un mètre et peser une trentaine de kilos. Marius nous rassure en précisant que ce genre de phénomènes ne se rencontrent que dans les coins les plus reculés de l’Amazonie, aux endroits où la concentration de population est moindre (pêche de subsistance). Il précise cependant qu’il lui est fréquemment arrivé d’en attraper de plus de quinze kilos !
L’Aïmara est un redoutable carnassier pourvu d’une mâchoire puissante, ce qui le place tout en haut de la chaîne alimentaire (dans les fleuves et rivières), le faisant par la même le roi incontesté de la concentration en mercure. Dans les zones aurifères, les orpailleurs ignorent bien souvent les bassins de décantation, censés traiter les boues polluantes contenant ce produit nécessaire à l’amalgame de l’or. Toxique pour les plantes, les animaux qui les ingèrent, puis par les carnivores qui mangent des herbivores, et en tout dernier stade, toxique pour l’homme qui mange son poisson quotidien…Amen !
L’Aïmara s’est très bien adapté au lac du barrage de Petit-Saut, loin des zones aurifères (les îlots ne sont pas assez grands pour l’implantation de zones d’orpaillage). Il est capable d’attaquer un oiseau, un rongeur, un lézard, une grenouille voire un petit mammifère, mais également insectes et graines. En fait : tout ce qui passe à sa portée. Le choix d’un leurre ou d’un appât n’a plus alors grande importance : morceau de viande, tripes, poisson, voire les orteils… Il peut même sortir la tête hors de l’eau pour attraper une proie ou un leurre accroché dans les branches, voire même saisir un leurre avant que celui-ci ne touche l’eau !
(ce dernier paragraphe est extrait du site « Atmosphère d’Amazonie »).
Tout ça pour vous dire que nous ne partons pas à la pêche aux goujons ! Nous embarquons donc dans PEYI A BEL, c’est le nom de la pirogue de Marius (le pays est beau), assez excités à l’idée d’aller taquiner le petit monstre. Alors que je m’attendais à voir un matériel de pêche ultra sophistiqué chargé dans le bateau, je n’y vois que trois bouts de bois d’à peu près deux mètres de long (en fait du wacapou un bois très dur et résistant). Je me dis que ce n’est certainement pas avec ça qu’on va sortir Eliot du lac, bien qu’en les observant de plus près, je constate qu’ils sont munis d’une corde d’un demi centimètre de large (ce sera notre fil de pêche) et, accroché à chacune de leur extrémité, un hameçon de la taille (à peu près…) du crochet du Capitaine du même nom (www.peter-pan) ! Pas de joli petit bouchon coloré non plus. Confirmation de Marius : « ici c’est la Guyane, pas la Floride ! ».
Une demi-heure de pirogue à travers la forêt engloutie, et nous voilà arrivés dans une sorte de petite crique, resserrée vers la pointe, comme un cul de sac. Autour de nous règne l’épaisse végétation. L’endroit est tranquille, pas un seul bruit aux alentours, si ce n’est par moment, le cri d’un ara ou celui plus inquiétant d’un singe hurleur… Je ressens un bonheur immense d’être là, en cet instant hors du temps que je partage avec mes enfants. Ces petites touches de baume qui viennent petit à petit soulager le cœur et l’esprit.
La préparation des cannes se fait dans un silence de cathédrale. Marius embroche aux hameçons, les morceaux (gros comme ma main) des carpes pêchées le matin, puis explique la technique de pêche :
– D’abord tu mets le bout de la canne complètement dans l’eau et tu frappes la surface très fort avec.
– Hein, mais ça va faire un bruit de fou !
– Oui, c’est exactement comme cela qu’on les attire, ils sont très curieux !
Donc, un bon tintamarre pour commencer, puis tu lèves et baisses la canne de quelques centimètres, comme si la carpe était toujours vivante et tu attends quelques secondes en silence, ta ligne s’éloignant doucement dans le courant. La tension est palpable sur la pirogue. Tandis que Marius scrute chacune des lignes, le visage des trois pêcheurs (Chrys, Démian et Juju) montrent les signes d’une grande concentration. Les yeux sont plissés, fixés sur la corde. Personne ne parle. Les lignes sont parfois relevées et jetées un peu plus loin. Si le poisson mord, la touche sera fulgurante et la ligne se tendra immédiatement. Il faudra alors ferré d’un coup très sec et extrêmement fort, au risque que le poisson se décroche. Quelques minutes, ici rien. Marius déplace la pirogue lentement plus loin dans la crique, les lignes toujours dans l’eau. Même le bruit du moteur ne les effraie pas. Quelques minutes de plus, là, rien non plus. Le doute s’installe, on ne pourra pas rester encore longtemps, il faudra bien rentrer, car la nuit ici tous les arbres sont gris (surtout ceux dans l’eau).
Soudain Juliane sent quelque chose, il n’en est pas sûr. « Lève toi lui dit Marius et quand la ligne part, tire fort ». A peine dit, la corde s’enfonce et s’éloigne du bateau à la vitesse de l’éclair. Juliane ferre, très fort. La tête de l’Aïmara sort de l’eau, puis le corps tout entier. Il se débat avec une telle force que la pirogue vacille ! « Oui, oui, oui !!! ». Juliane essaye de le ramener vers nous pour le poser au fond de la pirogue, mais le poisson est tellement lourd que son corps vient taper contre l’embarcation. Le choc est brutal et en l’espace d’une demi seconde, le monstre se décroche. « Noooooon, p….n » (tous à l’unisson). La déception est grande, d’autant que quelques minutes plus tôt, la même mésaventure était arrivée à Démian… »Je ne peux plus faire grand chose pour vous, dit Marius désolé, nous allons faire une dernière tentative à l’entrée de la crique et après nous rentrerons ». Nous sommes déçus, quasi certains maintenant de rentrer bredouilles.
Mais il était dit que, pendant ce séjour, tout serait parfait et ce le fut (turlututu chapeau pointu). Alors que de désespoir les lignes sont mises à l’eau un peu plus loin sans conviction, Démian à l’arrière du bateau a une touche. La ligne part, il tire. Le poisson semble bien accroché mais il n’arrive pas à le remonter. Marius qui se trouve juste à côté de lui, attrape la corde à deux mains. L’Aïmara sort alors complètement de l’eau et vient s’écrouler dans le fond de la pirogue, juste devant Chryséis qui, impressionnée par la bête, tente de s’en écarter et manque de justesse de passer par dessus bord ! Cris de joie, on se tape dans les mains. « Je suis trop contente, je suis trop contente » s’égosille Chrys, comme si c’était elle qui venait de l’attraper. La générosité naturelle de ma fille ! Marius se saisit alors rapidement de sa machette et, tenant toujours la ligne et donc le poisson à bout de bras, lui assène deux coups violents sur la tête, histoire de l’assommer. Je pense qu’un seul coup sur la mienne aurait suffit à me faire passer de vie à trépas… La photo souvenir est prise : Démian pose tout sourire, tenant non sans difficulté sa prise à bout de bras qui, selon Marius, pèse entre 8 et 12 kilos !
Nous rentrons alors doucement, conscients d’avoir vécu un instant extraordinaire ! Face à nous, le soleil commence à rejoindre l’horizon, illuminant les nuages présents. Les arbres sur le lac semblent encore plus sombres. Quand nous arrivons près du carbet, la nuit a pris place. La lune est pleine et nous éclaire le chemin entre les arbres. Deux lumières percent la masse sombre du carbet. Celle du ponton et celle de la salle à manger où nous attend Mado. L’ambiance est féérique, tout simplement.
Aussitôt débarqué, Marius prend en charge Eliot, toujours avec précaution, attrapant le poisson par les branchies, loin de ses dents. Il le pose sur le billot de bois dans le but de le dépecer et de le vider, avant qu’il ne se réveille. D’ailleurs l’animal donne fréquemment des signes de vie, à tel point que Marius le récupère plusieurs fois au pied du billot, à quelques centimètres de l’eau ! Pour nous prouver la résistance de l’Aïmara, Marius lui fait faire une petite trempette, qui semble le régénérer presque aussitôt. Nous regardons la scène avec inquiétude, espérant que Marius le tienne fermement… La découpe à la machette commence par les nageoires et la queue. Un verre de rhum à la main, nous regardons avec admiration la précision du geste. La bête bouge encore. Puis, muni d’un bon et gros couteau, Marius lui ouvre les entrailles et en vide tout le contenu (suffisant pour nourrir un caïman pour la journée). Et je vous le donne encore Monsieur Mimile, le bestiau bouge encore ! Question : en sera t’il de même dans notre estomac ?
Autre question : « Marius, est-ce que ça fait mal si on se fait mordre par un Aïmara ? »
Réponse question : « Tu as vu la taille de ses dents ? »
Réponse : « Oui… »
Réponse finale : « Alors je n’ai pas besoin de répondre à ta question… »
Douches prises (ah, il fait nuit…), encore apéro rhum, acras et autres friandises concoctées par Mado, puis le repas (colombo de porc), pris en commun avec nos hôtes, accompagné d’un vin rouge Merlot que seul Marius semble vraiment apprécié...
Après le repas, nous repartons pour une virée nocturne, à la recherche des caïmans. La lune continue d’allumer la surface sombre du lac et la pirogue avance lentement, se frayant un chemin entre les fantômes aquatiques. Nous nous approchons des berges que Marius balaye d’une puissante lampe torche. Il est relativement facile de repérer les caïmans. Deux points rouges qui émergent du faisceau de la lampe, il est là, sur la berge. Nous en apercevrons une paire furtivement, car l’animal timide, disparait en un clin d’œil dans les profondeurs lacustres dès que la barque s’en approche de trop près. L’idée de prendre un bain ne vient à l’esprit d’aucun d’entre nous…
Vient alors la fin de cette première journée à Petit Saut, longue, très longue à la lecture j’en conviens. Il est temps pour nous de rejoindre notre hamac et de nous y écrouler, ivres de fatigue et de bonheur, nos songes remplis d’images fantastiques…














Super article , il me tarde la suite !
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😉
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Le nombre de poisson aux dents de Dracula ne semble pas nécessiter de permis de pêche. Il sont probablement suffisamment nombreux.
Ceci dit, mieux vaut ne pas se baigner tout pour la gent masculine!
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Les maillots de bain sont vendus avec une coque…
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Merci pour ce partage de moments magiques si bien racontés.
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Tu es trop gentille ma Cathy !
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À nous de pêcher l’Aimara maintenant, sans Marius ! Je ne sais pas ce que ça va donner 😛 il est probable que l’un de nous tombe à l’eau
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Oui mais qui sautera dans l’eau pour sauver l’autre ?
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