Lac de Petit Saut, 17 janvier, jour 1 (suite)

Le carbet de Marius

Nous voici donc arrivés au carbet, après cette traversée qui nous a littéralement coupés du monde. Tout d’abord, comme promis, quelques explications sur les carbets :
Un carbet est un abri de bois sans mur, typique des cultures amérindiennes On en trouve notamment en Guyane, au Brésil, au Suriname et dans certaines îles antillaises. Il est en général conçu pour facilement y attacher des hamacs.

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carbet amérindien

Les avantages du carbet sont en général les suivants :
– abaissement de la température dû à la large surface d’ombre qui permet de garder une partie de la   fraîcheur nocturne (jusqu’à 7 °C) ;
– protège de la pluie ;
– par le jeu du clair-obscur, permet de voir tout en étant partiellement dissimulé ;
– construction « facile » et bon marché (pour les plus simples).
Aujourd’hui, il en existe plusieurs versions, allant du plus rudimentaire au plus luxueux (enfin ma version de « luxueux ». Ne vous imaginez pas le Hilton à Cannes). Ils sont toujours utilisés en forêt de façon pragmatique, dans les villages les plus reculés, par les militaires et bien sûr par les garimpeiros (chercheurs d’or clandestins), les premiers à la poursuite des seconds.
C’est également dans ce genre d’habitation que les touristes passent la nuit, hors des villes : la version la plus « brute » s’appelle le carbet bâche, testée plusieurs fois par Chrys et Juju. Tu pars en forêt, avec des collègues c’est plus rassurant, pour visiter un endroit perdu dans la nature (rivière, cascade…) et tu passes la nuit là. Autour il n’y a rien, à l’exception de la forêt…Tu as pris soin d’emporter avec toi tout ce dont tu as besoin pour ce périple (nourriture, boissons, hamacs, briquet et autres ustensiles nécessaires à ton « confort »). Tu es donc chargé comme une mule. Quand tu as trouvé un lieu à peu près dégagé, tu aménages ton campement : entre deux arbres précautionneusement choisis, tu installes tout d’abord la bâche qui te protègeras de la (très probable) pluie, des potentielles chutes de branches et de la visite inopportune d’animaux ou bestioles indiscrètes . Puis en dessous, tu accroches ton hamac (suffisamment loin du sol, we never know), que tu entoures religieusement de ta moustiquaire. Pour finir, tu déploies dans le hamac ton duvet, car sur le matin il fera froid, et tu mets en bonne place ta lampe frontale, qui te servira à y voir quelque chose (mouais), si tu te lèves en pleine nuit pour aller faire pipi…bon courage (Il parait qu’il y a beaucoup d’accident de vessie pendant les carbets bâche…Non je déconne). Pour la toilette, c’est la rivière, s’il y en a une.
Après la baignade, exploration des lieux puis après le repas (pris au sol sur une bâche, à côté du feu de camp), tu vas généralement te coucher de bonne heure, car de toute façon il fait nuit depuis bien longtemps et qu’après la vingtième partie de cartes, il n’y a plus rien à faire. Les moins courageux ont un peu abusé du rhum, appelé communément le « somnifère de la jungle », afin d’essayer d’oublier tous les bruits nocturnes de la forêt, noire comme de l’encre, et de chasser les pensées angoissantes d’une éventuelle attaque de garimpeiros, ou par la venue impromptue d’un serpent, qui se serait fourbement faufilé par le petit trou de ta moustiquaire déchirée…Bonne nuit les petits !
Il existe une deuxième version du carbet, que nous avons eu la chance de tester lors de notre premier séjour. Ceux-là sont « tout confort ». Ils sont généralement situés en bordure de rivière et appartiennent soit à des particuliers, soit à des associations. Seule la construction leur appartient, le terrain étant propriété de l’état qui en accorde la concession, après l’autorisation de l’ONF. Pour l’installation, le propriétaire a généralement embauché des Brésiliens pour dégager la forêt sur un diamètre d’une centaine de mètres. Puis vient la construction du carbet, qui comprend la partie couchage, le coin repas, les toilettes et la douche reliées au reste du carbet par un caillebotis surélevé, sans oublier le barbecue. Ces carbets sont plus ou moins éloignés d’un dégrad. Il nous avait fallu une heure de pirogue, en remontant la Comté (grosse rivière à une heure de Cayenne) pour y accéder. La coutume veut que, si tu y débarques et que le propriétaire n’est pas là, tu peux t’y installer, à condition de le laisser propre. Ou alors tu te le fais prêter par le propriétaire, comme cela a été notre cas cette fois-là. Top ! La seule précaution à prendre, le soir avant d’aller te coucher, c’est de tirer un coup de fusil en l’air, histoire de faire savoir aux malandrins de passage que tu es armé…Comme nous le verrons pour celui de Marius (et oui j’ai encore digressé…), les activités sont plutôt tranquilles: pêche, baignade pour les plus intrépides, lecture, apéro, repas. Une parenthèse hors du temps quoi !
Le troisième type de carbet est le carbet « hôtel » ou chambre d’hôtes. Il faut pour cela réserver à l’avance (très à l’avance pour les plus réputés notamment les week-ends). Pour certains, tu payes juste pour l’emplacement de ton hamac (comme ce sera le cas au carbet Bonaventure, à suivre), pour d’autres c’est la formule en pension complète (nous le verrons dans un prochain article consacré à notre séjour au Camp Canopée, qui comme son nom l’indique est un carbet… dans les arbres).
Celui de Marius, nous y voilà enfin, fait partie de cette dernière catégorie. Nous sommes donc là pour trois jours, deux nuits en pension complète, et pour tout dire, aux petits oignons ! Pour ceux d’entre vous que j’aurais perdu en route, je vous rappelle que nous sommes au milieu du lac de Petit Saut, loin, très loin de la civilisation. Le carbet est donc situé sur un îlot, plus grand que la moyenne, et de surface plane (deux conditions essentielles pour l’implantation d’un carbet). On y arrive après avoir traversé une dernière forêt de troncs semi aquatiques et, après avoir dépassé la pointe de l’île, la pirogue s’avance maintenant au ralenti dans une magnifique petite baie, toujours bordée par une végétation épaisse. Le premier signe de présence humaine que l’on aperçoit, c’est le ponton, flanqué d’une sorte de plate forme en hauteur qui s’avèrera être un plongeoir (moi j’y suis monté pour pêcher), puis, discrètement dissimulé derrière des arbres, le carbet lui-même.
Après avoir débarqué nos sacs, nous remontons le ponton jusqu’à l’entrée du carbet. Là, deux grandes tables indiquent le coin salle à manger. Sur la gauche s’étire sur une vingtaine de mètres l’espace à coucher, et sur la droite un petit coin « bar ». Derrière se trouvent le coin cuisine et les parties privées du propriétaire. Je vous rappelle qu’il n’y a pas de mur (à l’exception d’une séparation en bois pour la partie privée), et qu’ainsi à l’intérieur du carbet tu as une vue à 360° sur l’extérieur : côté ponton vue sur la baie, et de l’autre, vue sur l’espace déboisé, l’abatis, autrement dit le jardin. Ici et là quelques arbres fruitiers (bananier, papayer…), un petit espace potager (aubergines, piments, ignames…). Sur la gauche le coin charbon de bois, alimenté par la coupe régulière d’arbres, nécessaire à l’entretien du site. Puis, toute proche du jardin, la forêt dont on sent avec un brin d’inquiétude, la volonté farouche de reprendre ses droits. De temps en temps, c’est la nature elle même qui fait le ménage : il n’est pas rare que, dans un grand fracas, un arbre géant s’écroule, rongé par les termites…Et, délicatement posées au milieu de cet étrange jardinet amazonien, deux cabanes en bois, je vous le donne en mille, la douche et les toilettes. Le carbet de Marius étant récent, il n’y a pas encore de caillebotis entre ces lieux de commodité et le carbet. La première pensée qui vient alors à l’esprit se résume à peu près à ceci : « pourvu que je n’ai pas envie d’aller aux toilettes en pleine nuit… ». La douche, bien que d’aspect rudimentaire est tout à fait fonctionnelle. Alimentée par un réservoir d’eau de pluie sur le toit, il est inutile de demander s’il y aura de l’eau chaude. Et puis quoi encore, tu n’es pas à Cannes Môssieur ! Peu importe de toute façon, une douche fraîche sous ces latitudes reste un petit bonheur. Il faut également rajouter que tu la prends avant la tombée de la nuit, donc tout va bien.
Le coin toilettes, quant à lui, nous le qualifierons d’un peu plus…exotique. Elles sont dites « sèches », en ce sens qu’il n’y a pas de chasse d’eau. Un support en bois pour fixer la lunette et un trou large et profond dans lequel tu ne jettes bien sûr aucun papier. Et pour en finir avec ce délicat passage (je parle du texte), tu te dois de saupoudrer de sciure de bois et à l’aide d’une petite pelle gentiment mise à disposition, ce que tu viens d’y déposer, pour ceux qui y arrivent… La première fois tu fermes la porte, réflexe de « civilisé », la deuxième fois tu la laisses ouverte afin, en toute impunité, de profiter de la situation, c’est à dire de trôner au milieu du jardin d’éden. De là à se prendre pour Dieu…Je vous l’ai dit, ma conception du luxe peut paraître un peu spéciale parfois ! Bon, de nuit avec la lampe frontale, j’avoue que tu fais moins le malin. Dieu, le Malin, tout se confond ici…
Avant cette exploration complète du carbet, nous avions fait la connaissance de la femme de Marius, Magdalena (Mado pour les intimes, c’est à dire une minute après notre arrivée), une adorable Surinamaise. D’origine africaine elle aussi, c’est une belle femme aux formes généreuses. Avec un véritable sens de l’hospitalité, elle nous accueille simplement, comme si nous nous connaissions depuis longtemps. Elle dit que dans la vie, il faut aller vers les autres pour les connaitre et se connaitre. Sinon, cela veut dire que tu as l’esprit « marécageux ». Le tout ponctué par ce rire fort et franc, très typique et si agréablement contagieux. Impossible de se tromper sur la première impression, même pour moi.
En cette fin de matinée, nous filons installer nos hamacs, ravis de notre situation de privilégiés (comme je vous l’ai dit, nous passerons le séjour seuls, nous quatre avec nos hôtes), non sans avoir pris auparavant connaissance du programme de la journée : baignade, pêche depuis le ponton (le but étant de ferrer des carpes qui servirons d’appât à notre « vraie » pêche de l’après-midi), prises de vue avec le drone, apéro (jus de fruit frais à l’hibiscus, p’tit punch et autres rhums arrangés), repas (acras, beignets de banane plantain, viande de paca – petit rongeur d’Amérique tropicale au goût de lapin -, sieste, lecture, ou encore baignade, puis départ en pirogue pour la pêche à l’Aïmara (nous reparlerons plus loin de ce moment épique).
Nous commençons donc par la baignade, sans trop nous écarter du ponton, un peu timorés par l’ambiance « très nature » des lieux, sachant que certains résidents sous-marins ont un profil dentaire aiguisé comme des lames de rasoir, même si Marius nous certifie sur ses ancêtres que nous ne risquons rien. Puis nous attaquons la pêche à l’appât avec quelque réussite, puisque nous sortons quatre belles carpes qui, heureusement pour elles, ne finiront pas vivantes dans la gueule d’un caïman. Mado nous appelle ensuite pour l’apéro et le repas. Ma fois, j’ai connu pire…Le premier jour n’est pas fini, il restera à découvrir la pêche à l’aïmara et la sortie nocturne…
(N’oubliez pas de cliquer sur les photos pour les agrandir)

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