Lac de Petit Saut, ô merveille !

Etape

Comme chaque fleur fane et chaque jeunesse
Cède à l’âge, chaque étape de la vie fleurit,
De même chaque sagesse et chaque vertu
En son temps, et ne doit pas durer éternellement.
A chaque appel de la vie, le cœur
Doit être prêt aux adieux et aux recommencements,
Afin que dans le courage et sans deuil, il s’adonne à d’autres nouvelles obligations.
De même en chaque commencement habite un charme
Qui nous protège et qui nous aide à vivre.
Sereins nous devons avancer d’espace en espace,
S’en accrocher à aucun comme à une patrie:
L’esprit du monde ne veut ni nous lier ni nous enfermer,
Il veut nous élever étape par étape, nous élargir.
A peine sommes nous intimement habitués à un cercle de la vie
Que menace alors le relâchement.
Seul celui qui est prêt au départ et au voyage
Peut échapper à cette habitude qui paralyse.
Peut-être même que l’heure de la mort
Nous enverra jeunes vers de nouveaux espaces.
L’appel de la vie ne s’arrêtera jamais pour nous…
Allons donc, mon cœur, fais tes adieux et guéris!

Hermann Hesse


Ce très beau poème m’a été envoyé par quelqu’un que j’aime beaucoup. J’ai lu la quasi totalité des livres de cet auteur allemand, dont le fameux « Démian ». A conseiller aux amoureux de la poésie…
Un peu de blues ce matin du 30 janvier. Alors que je m’attends à voir sortir mon fils de la chambre, il est déjà arrivé à Barcelone. Fort heureusement, je reste là, avec ma fille et Juju pour une nouvelle étape, celle de ma vie de vrai guyanais, pour un mois encore !
Vous l’aurez compris, je n’aime pas les séparations… Anyway comme dirait Margaret, passons à la suite et quelle suite ! L’article qui suit sera certainement le plus long, le plus fourni, le plus imagé et le plus commenté, tant ce séjour de 3 jours et 2 nuits sur le lac de Petit Saut aura été tout simplement magique ! J’espère que ce condensé de bonheur fugace vous plaira. Bonne lecture. Pour ceux qui n’aiment pas lire, passez directement aux images, je me suis un peu lâché sur le coup.

Lac de Petit Saut, 17 janvier, jour 1

Route côtière vers Kourou, puis plein ouest pour rejoindre le dégrad atteint au bout d’une heure et demi de voiture (en Guyane, le dégrad désigne un lieu de mise à l’eau de chargement, déchargement des embarcations. Peut être considéré comme un petit port sur une rivière, un fleuve). Il est 8 heures.
Là, nous attendons Marius notre hôte et guide pour ce séjour, qui nous conduira jusqu’à son carbet (je vous dirai plus loin en quoi consiste le carbet), à bord de sa fileuse (pirogue de Guyane longue et effilée, en bois à l’origine mais le plus souvent en acier aujourd’hui. Leur faible tirant d’eau permet le passage des sauts – rapides souvent dangereux – durant la saison sèche. La dénomination « fileuse » prends sa source à l’époque du bagne, quand les détenus tentaient de se faire la belle à bord de pirogues volées. Je connaissais « filer à l’anglaise » mais pas « filer à la bagnarde »!).
Le dégrad se situe à côté du barrage (sur le fleuve Sinnamary), qui fournit 50 % des besoins en électricité de la Guyane. Le lac ainsi créé en 1995, le plus grand de France, est tout simplement gigantesque : 310 km², soit plus de 3 fois la superficie de Paris, sur environ 16 kms de long sur 19 kms de large, pour une profondeur de 35 mètres. Si je vous donne autant de chiffres, c’est pour vous donner une idée de la taille de la forêt primaire qui a été engloutie. L’écosystème a forcément été largement modifié, ce qui, pour les amoureux de la nature peut paraître très dommageable. L’idée me traverse l’esprit en attendant Marius, d’autant que comme tous les romantiques, je préfère les lacs naturels.
Cela dit, il faut savoir que le lac a été rempli petit à petit. La faune a donc eu largement le temps de se retirer du site petit à petit et de le réinvestir depuis, tant dans l’eau que sur les innombrables îlots, anciens sommets des mornes (collines) d’avant le « déluge », sur lesquels réside toujours la forêt, comme autant de petites Guyane en miniature. Les villages quant à eux… Avantages et inconvénients des barrages.
Une pirogue arrive, ce n’est pas Marius. C’est celle de militaires et gendarmes qui patrouillent, comme sur beaucoup de rivières en Guyane, à la recherche de tout ce qui peut être illégal, comme le trafic d’animaux, les clandestins, les orpailleurs…Autant chercher une aiguille dans une botte de foin ! D’une superficie de    86 504 km², la Guyane française est 6 fois plus petite que la Métropole, mais est, de loin, le plus grand des départements français; son territoire correspond presque à la superficie d’un pays comme le Portugal. D’autant que 95 % du territoire est constitué de forêt primaire (4 habitants / km² contre 20 600 à Paris !). Bon courage les loulous…
Le bruit d’une autre pirogue résonne entre les îlots. Cette fois-ci c’est la bonne. Chryséis, pour avoir déjà rencontré Marius lors de deux sorties précédentes, le reconnait de loin. J’essaie de scruter son visage pour me faire une première impression, au fur et à mesure que l’embarcation ralentit et se pose délicatement sur la pente en béton du dégrad. Certainement influencé par l’opinion de Chrys, le personnage me paraît d’emblée très sympathique. De toute façon, je suis mauvais sur mes premières impressions.
Marius est créole, aux origines africaines. De son sourire éclatant se dégage une certaine bonhommie, sagesse de ceux qui savent, sans se la péter. Le temps de charger nos sacs dans la pirogue, couverts par une grande bâche (n’oublions pas que c’est la saison des pluies), et nous voilà partis, seulement nous quatre avec lui, oh grand bonheur, sans aucun autre touriste ! Hors vacances scolaires et en semaine, tel est le secret (alors que nous aurions pu nous retrouver largement à plus de dix), oh Jeez ! En plus, pour le moment, il fait beau…
Je comprends vite que l’instant va être privilégié : dès les premières encablures, la pirogue semble remonter une grosse rivière, aux eaux gris bleu (pas de courant donc pas d’alluvion), la forêt défilant sur chacune de ses rives, déployant sa palette de vert. Puis subitement, le lac s’élargit. Les îlots, sur lesquels les arbres et les plantes se disputent le moindre centimètre carré, apparaissent de tous côtés. Déjà en soit, c’est unique. Mais le spectacle ne s’arrête pas là. Du fond du lac surgit le haut des troncs de tous les grands arbres que les eaux ont submergé (jusqu’à 10 ou 15 mètres au dessus de l’eau pour les plus grands, alors que certains n’émergent que de quelques centimètres, gros danger pour les moteurs).
Au vu de la profondeur du lac, il est facile d’imaginer leur hauteur à l’origine. Certains sont à peine larges de quelques centimètres, alors que d’autres peuvent dépasser le mètre. Seules les flèches principales ont résisté au temps, pour le moment.  Ils sont des centaines, certainement des milliers et peut être même des millions disséminés sur toute l’immensité du lac. Dénudés pour la plupart, témoins fantomatiques du passé, certains servent de support à des plantes, voire à des arbres épiphytes, dont les graines transportées par le vent ou les oiseaux ont germé au milieux des troncs éclatés. C’est grandiose, hallucinant, d’autant que nous apercevons, la tête en l’air, le vol des perruches vertes et des magnifiques aras rouges. Quelques couples ont creusé leur nid dans les plus gros arbres, au milieu du lac. Nous les voyons sortir leur tête, inquiets. Tout en volant, ils poussent des cris très caractéristiques, une sorte de « aaaaah, aaaaah » très strident. Comme pour la plupart des autres espèces de perroquets, lorsqu’un couple s’est formé, il demeure ensemble jusqu’à la mort de l’un des deux… Alors que je me laisse aller à la douce rêverie de cette pensée, je sursaute en entendant ce cri juste derrière moi. Marius vient, avec une incroyable ressemblance, de l’imiter. Et le plus extraordinaire, c’est que les aras reviennent faire un tour au dessus de la pirogue ! Alors chacun de nous s’essaye à les rappeler, sans trop de succès, d’autant que mon cri ressemble plus à celui d’une vieille sorcière en colère. Du coup, je regarde tout penaud, s’éloigner ce magnifique couple, image du paradis perdu…
Parfois les arbres laissent un passage, une sorte de chenal dans lequel s’engouffrent, vrombissant, les 65 cv de la pirogue, la fileuse à toute (l’)allure, sur la surface lisse du lac.
Par moment au contraire, il nous semble arriver au bout du lac, face à ces centaines de troncs, serrés les uns contre les autres, un îlot plus grand que les autres en fond d’écran. La pirogue ralentit, s’approche lentement de cette indémêlable labyrinthe de troncs émergés, mais ne s’arrête pas. Avec une adresse impressionnante, Marius guide la pirogue à travers ce dédale de pieux, espacés seulement par endroits d’un mètre tout au plus. Chacun rentre ses mains discrètement dans l’embarcation… Une passe s’ouvre alors, entre deux îlots, et la navigation reprend. Comment Marius fait-il pour éviter tous ces pièges, pour reconnaître son chemin ? Lui même n’a pas la réponse, tout est dans sa tête ! Il dit que c’est comme nous quand on va à Carrefour, on ne réfléchit pas à la route…
Sur un îlot perdu au milieu de nulle part, Marius nous fait faire une halte sur le site d’un bagne en ruine. Une grande partie est sous l’eau aujourd’hui, mais il reste encore quelques murs lézardés, complètement envahis par les racines et la végétation. C’est un des trois bagnes de Guyane qui « accueillaient » les prisonniers politiques Annamites (nom que donnait les français aux indochinois pendant la colonisation). Le lieux est déconcertant, étrange. Souvent, ce que l’on croit être un oasis de béatitude n’a été qu’un enfer. Mais le temps change tout, rien ne dure…
La navigation se poursuit et nous atteignons, au bout d’une heure trente, le carbet de Marius. J’aurais pu continuer ainsi des heures à chevaucher la fileuse. Mais le dos et les fesses ne sont pas contre notre débarquement (nous comprendrons un peu plus tard que les gilets de sauvetage, bien rembourrés, servent surtout à s’assoir dessus).
Cliquez sur les photos pour les agrandir et les faire défiler. Dans le prochain article, qui sera la suite de notre séjour à Petit Saut, je vous mettrai un petit film sur notre navigation.

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5 réflexions sur “Lac de Petit Saut, ô merveille !

  1. é bé !!! heureux de lire et (essayer) de comprendre l’état d’esprit dans lequel tu te trouves – La route continue et il semble que l’inspiration littéraire soit de la partie, elle fait du bien. Non seulement c’est très agréable à lire, mais ça fait aussi voyager et ça nous fait du bien aussi ! … allez … à quand un vrai livre ?! Biz

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